Article La Croix - "Aux portes des masters universitaires, les étudiants se bousculent"

17/3/2023

Sixtine Lerouge, le 09/07/2021  

À l’université Jean-Jaurès de Toulouse, au sortir d’une réunion étudiante, en février. De nombreux diplômés de licence se retrouvent sans admission en master pour la rentrée 2021-2022.LILIAN CAZABET/HANS LUCAS

Analyse

Frédérique Vidal a annoncé, vendredi 9 juillet, l’ouverture de 3 000 à 4 000 places supplémentaires en master pour la rentrée 2021. Dans un contexte de hausse constante des effectifs universitaires, de plus en plus d’étudiants se retrouvent sans master, avec leur seul diplôme de licence sous le bras.

Adélaïde (1) est décrite comme « une étudiante brillante » par son avocat. Passionnée par les institutions européennes, la jeune femme, qui termine sa première année de master (M1), postule en deuxième­ année (M2) à Paris-1. Mais en juin 2021, douche froide : elle voit son admission refusée pour « niveau insuffisant », malgré un parcours « très orienté européen ».

« Son dossier est censé être soumis à un processus de vérification des acquis universitaires, explique maître Florent Verdier, qui porte son affaire devant le tribunal administratif pour contester la décision. Or, l’université n’est pas en mesure de prouver que ce processus a bien eu lieu. » C’est sur cette faille que l’avocat joue, espérant que le tribunal statuera en faveur de sa cliente et prononcera son inscription au sein du master.

Absorber les flux

« Saisir le juge pour faire des études, ça paraît hallucinant », convient Florent Verdier. Depuis qu’il s’est spécialisé dans ce type de dossier, en 2014, il en reçoit « entre 300 et 400 par an », et il en traite une vingtaine. Et depuis quelques années, il lui semble même en recevoir de plus en plus. « Les étudiants ne viennent pas de gaieté de cœur : c’est juste leur dernier moyen d’accès à un cursus. » Comme Adélaïde, de nombreux diplômés de licence se retrouvent en effet sans admission en master pour la rentrée 2021-2022. Une détresse qui se lit sur les réseaux sociaux sous le hashtag #EtudiantsSansMaster.

Un phénomène difficilement quantifiable (sollicité, le ministère de l’enseignement supérieur n’a pas répondu à nos questions) mais qui n’est pas nouveau : si le taux de réussite en licence reste stable depuis des années (environ 42 %), les effectifs, eux, sont en constante augmentation. En moyenne, 30 000 nouveaux étudiants viennent user les bancs des universités. « On savait qu’on allait être de plus en plus nombreux », affirme Maryam Pougetoux, vice-président de l’Unef (Union nationale des étudiants de France). Problème : en parallèle, l’offre en master évolue peu. « Il faudrait créer trois universités pour absorber le flux », évalue-t-elle.

« Le droit à la poursuite d’études »

L’encombrement est d’autant plus visible depuis la réforme de 2017, qui a instauré une sélection entre la licence et le master, auparavant située entre le M1 et le M2. Pour prévenir d’éventuelles ruptures de parcours, cette loi a créé un « droit à la poursuite d’études », qui permet aux étudiants sans aucune admission d’enclencher une procédure de recours auprès du rectorat. En 2017, sur les 173 000 inscrits en L3, ils étaient 3 300 à y recourir, avec succès pour 735 d’entre eux. Avec plus de 7 400 saisines, 2020 met en lumière « une situation de rupture », constate l’Unef. Et 2021 semble suivre la voie.

Guillaume Gellé, vice-président de la Conférence des présidents d’université l’admet : « L’accès en M1 met en contradiction deux grands principes : le droit à la poursuite d’études et l’admission sélective en master. » Une formation « exigeante », qui demande des effectifs restreints. À lire aussi Parcoursup : 100 000 propositions d’inscription de plus que l’an dernier

Si « 3 000 à 4 000 places pérennes » vont être ouvertes dans les masters les plus sélectifs, selon le ministère de l’enseignement supérieur, pour parer à l’urgence de cette rentrée, « on n’échappera pas à une réflexion plus poussée », considère-t-il. L’enjeu : que le diplôme garde sa valeur et permette une insertion optimale sur le marché du travail. « Une société uniquement composée de diplômés en master n’a plus de sens », estime-t-il. Dans une société où la valorisation des longues études prime, « il ne faudrait pas que les étudiants aillent en master par défaut. Renforçons plutôt la professionnalisation en licence, et développons la formation continue », suggère Guillaume Gellé.